C’est un fait divers qui s’est transformé en buzz mondial.
En décembre aux Pays-Bas, deux vaches s’échappent du camion qui les amène à l’abattoir. La première est rapidement rattrapée, mais la seconde parvient à se cacher dans la forêt. Elle y reste près de 3 mois, inapprochable, inattrapable (malgré de nombreuses tentatives), se nourrissant la nuit en volant dans les étables environnantes.
Cet article est également paru dans le numéro 15 du magazine Be Veggie
Rapidement les médias s’emparent de cette histoire de la vache rebelle, baptisée Hermien, et son aventure fait le tour du monde : Euronews, Le Monde, Taïwan News, Qatar tribune…. Le grand public s’émeut du sort de Hermien et elle devient une cause nationale. Le hashtag #MeKoe (“moi vache” en néerlandais) est lancé, et la famille royale des Pays-Bas soutient une campagne de crowdfunding pour financer son sauvetage.
Tout est bien qui finit bien : Hermien est finalement attrapée en février grâce à un tir de tranquillisants ; le Parti Pour Les Animaux (néerlandais) qui a géré l’appel aux dons réunit 50 000€ pour racheter Hermien et sa complice d’évasion et leur offrir une fin de vie paisible dans un sanctuaire. Happy end. On peut se coucher paisiblement et faire de beaux rêves.
Sauf que
L’opinion publique, émue du sort de Hermien, ne s’attendrit pas autant quand il s’agit de mordre à pleines dents dans un hamburger fait à partir de la chair de congénères de Hermien. Ou quand ils-elles achètent des chaussures en peau de ses semblables. C’est du steak, du cuir, pas des morceaux de Hermien.
Parce qu’elle représente un exemple criant de dissonance cognitive et d’hypocrisie mêlées, l’histoire de la vache Hermien m’a hantée.
Indignation de mauvais goût (sans jeu de mots)
#MeKoe
Faire une récupération de #MeToo (ou #Moiaussi pour les francophones) est périlleux. Pour rappel, il s’agit d’un mouvement lancé par l’actrice Alyssa Milano, appelant toutes les femmes ayant un jour subi une agression sexuelle à partager un témoignage suivi de ce hashtag afin de montrer l’ampleur du problème. Rapidement, l’initiative est devenue virale et s’est propagée dans le monde entier. L’impact a été énorme et le but atteint : sensibiliser l’opinion publique et faire réagir les décideurs.ses politiques sur le harcèlement sexuel.
Dans son principe, #Metoo est utilisé par des personnes qui ont été victimes de violences à caractère sexuel. Pourquoi ne pas reprendre le même principe pour des victimes d’autres abus, étant donné le succès du mouvement ? Pourquoi pas.
Mais l’associer aux actes barbares dont sont victimes les vaches durant toute leur vie pose quelques problèmes.
Si on reprend le concept du mouvement #Metoo, utiliser #MeKoe (traduction : “Moi vache”) signifie qu’on est soi-même une victime des abattoirs. Or non ce n’est pas le cas, il n’y a pas d’élevage d’humains pour leur viande (et heureusement). La volonté louable de soutenir le sauvetage de Hermien ou de dénoncer l’élevage ne doit pas se faire au prix de la décrédibilisation du mouvement féministe comme du mouvement animaliste.
Certes l’appropriation du corps des femmes se rapproche de celle du corps des vaches. Des autrices, comme Carol J. Adams et sa “Politique sexuelle de la viande”, ont tracé avec brio des parallèles entre le contrôle du corps des femmes (réifiées, ramenées à des morceaux de viande, déshumanisées) et du corps des animaux. Mais si les systèmes d’oppressions ont de nombreux points communs, ils n’en sont pas moins spécifiques individuellement. Et ainsi la différence (et elle est essentielle) entre l’oppression des femmes et l’oppression des animaux est que « les animaux, eux, sont véritablement transformés en pièces de viande », comme le dit Carol J Adams.
Individualisation et identification
L’individu Hermien est devenu un symbole, dont le sort semble valoir pour l’ensemble de son espèce. Hermien est LA vache, essentialisée.
Hermien a un nom, Hermien a une identité. Elle sort du lot des vaches anonymes, ce n’est plus “une vache” c’est un individu avec sa personnalité propre.
Un individu fuyant son oppresseur et déjouant tous les pièges qui lui sont tendus, ça force l’admiration. On a presque automatiquement de la sympathie et du respect pour celle qui a échappé à un sort funeste et gagné sa liberté. L’histoire de Hermien nous renvoie à d’autres histoires, fictionnelles ou réelles, qui ont marqué notre société et notre culture occidentale : la Résistance, les “héros du quotidien”, les pirates, les cow-boys et les indien.ne.s, le délit de solidarité, les migrant.e.s syrien.ne.s, les réfugié.e.s politiques…
Par son acte de rébellion, Hermien a montré (ou rappelé) aux humains que les animaux luttent eux aussi pour survivre, ont une volonté propre et sont capables de prendre leur destin en main.
Elle est une victime innocente, et la tuer devient insupportable.
Dissonance cognitive
Cette histoire illustre un bel exemple de dissonance cognitive. Pour rappel, la dissonance cognitive est une théorie élaborée par Leon Festinger en 1957 qui est que lorsque nos actes entrent en conflit avec nos pensées, nous ressentons un inconfort. Cette contradiction entre nos pensées et nos comportements peut s’illustrer par “J’aime les animaux, je veux leur bien-être…mais je mange de la viande” (appelé aussi le paradoxe de la viande).
Afin de réduire cet inconfort, deux solutions s’offrent au cerveau : modifier le comportement (coûteux en effort) ou ajouter une pensée consonante (se conforter dans sa position avec des arguments plus ou moins valides).
Dans le cas de la viande, la dissonance cognitive est volontairement entretenue par l’industrie agro-alimentaire qui fait tout pour dissocier la viande (vendue découpée, préparée, en barquette avec un papier absorbant l’éventuel sang qui dégorgerait) de l’animal, et donc du meurtre de ce dernier.
Le cas de Hermien offre l’occasion parfaite pour les carnistes de réduire leur inconfort psychologique en ajoutant une pensée consonante : “J’ai aidé à sauver une (LA) vache, j’ai prouvé que j’aime les animaux et que je me soucie de leur bien-être” ; et donc, implicitement, de valider une nouvelle fois leur consommation d’animaux.
Comment lutter contre la dissonance cognitive ?
C’est un processus très long et complexe que de se défaire d’habitudes. Encore plus dans le cas d’habitudes alimentaires qui sont profondément ancrées dans notre culture, notre éducation, notre société et notre rôle social.
Pour faire changer le paradigme sur la viande, il n’y a pas de recette toute faite (c’est bien pour ça que les actions militantes pour la cause animale sont si variées dans leur forme et leur contenu). Mais ce que l’on sait, c’est que le changement de comportement arrive quand les pensées consonantes ne sont plus à même d’assurer la diminution de l’inconfort ; quand tous les arguments sont déconstruits et que ne reste plus que la solution du changement de comportement pour aligner pensées et actes.
Il faut plus de Hermien, d’autres cas d’animaux qui sont présentés comme des personnes. Donner un nom à des animaux utilisés en élevage comme on le fait pour nos animaux domestiques est un premier pas pour les faire sortir de la masse informe et anonyme du troupeau. Faire des visites de sanctuaires et de parcs naturels, écouter les anecdotes de personnes qui vivent avec ces animaux, regarder des documentaires animaliers, tous ces comportement vont dans le sens de sortir les animaux du statut d’objet consommable auquel ils sont révolus.
Evidemment, il faut que ces initiatives s’accompagnent de discussions pour déconstruire le modèle carniste. Elles pourront appuyer le discours militant et le faciliter mais en aucun cas elles ne suffiront seules.
Les activistes de la cause animale doivent s’appuyer sur la pédagogie, la variété des supports de communication et des angles d’attaque, ainsi que sur une forte présence médiatique pour pouvoir se faire entendre, et espérons-le, se faire comprendre également.
C’est par la répétition de ces messages que, peut-être, nous arriverons à faire en sorte que les animaux ne soient plus considérés comme des ressources exploitables, mais bien comme des individus à part entière.
Pour aller plus loin, quelques sources intéressantes :
“La politique sexuelle de la viande: une théorie critique féministe végétarienne” de Carol J. Adams
“Voir son steak comme un animal mort” de Martin Gibert
“Introduction au carnisme : Pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches” de Mélanie Joy
Dissonance cognitive : le paradoxe de la viande – vidéo de Marine Spaak et Nicolas Enfon (3 minutes)
Cet article est également paru dans le numéro 15 du magazine Be Veggie
Tout être vivant a cet instinct de survie et Hermien n’est pas une exception. Hermien a eu la chance de ne pas finir dans une assiette, mais son propriétaire est le plus heureux je trouve en empochant 50 000 euros si j’ai bien lu.
D’accord avec vous Axel. Ce fournisseur de viande après les avoir achetées, les avoir menées à l’abattoir et les avoir abattues est le grand gagnant de l’histoire. On peut supposer que c’est bien lui qui les a reçu ces 50 000€ et non l’éleveur. Pas mal comme transaction.
Mais n’oublions pas les autres grands gagnants car il s’agit de leur vie, sont bien les deux vaches sauvées par … elles-mêmes et les médias qui ont divulgués l’affaire.
Heureuses puissent-elles terminées leur douce vie.
Et les autres?
Car il ne s’agit bien « que » de 2 animaux contre des millions d’autres abattues sans ménagement ou considération pour elles.
Bonjour, j’ai laissé hier un commentaire suite au message de Axel.
Je ne le vois pas. A t-il été censuré??
Comment expliquer sinon son absence ici, alors qu’il était mentionné comme étant envoyé?
J’adhérais pourtant à ce message .
Bonjour, votre commentaire a bien été publié hier à 13h41. Peut-être vous devez actualiser la page dans votre navigateur pour le voir apparaître?
Bonjour Sacha, merci pour votre réponse. Je vois les deux messages à présent, j’ai du réagir trop vite. Je m’en excuse. L’impatience n’est pas reine. Belle suite à vous et à vous lire et relire :-).
Pas de troubles, bonne lecture!