C’est plusieurs discussions avec des ami.e.s et collègues aussi bien véganes, végés et omnivores qui m’ont amené cette réflexion. Les options végétales dans les restos omnivores, est-ce vraiment une bonne nouvelle ? A qui s’adressent réellement ces menus végétaliens ? Et quel est le but des chaînes de restauration avec ces alternatives à leur produits phares ?
Pour vous mettre dans le contexte, cette discussion se passe à Montréal. On est à l’été 2018 et la populaire chaîne de fastfood A&W vient de lancer un burger végane composé du fameux steak végétal de l’entreprise Beyond Meat. Dans la communauté végane locale, on ne parle que de ça (mon mur Facebook est rempli de selfies avec ledit burger) et chacun.e y va de son commentaire sur le goût, la ressemblance avec un “vrai burger”, etc…
C’est super d’offrir une alternative végane
Principale réaction des personnes véganes : “C’est génial, on peut enfin aller manger là-bas. Et puis ça donne de la visibilité aux véganes.”
Oui, c’est super de voir que le régime végétalien est pris en compte dans de plus en plus de places, et surtout des chaînes de restauration (inter)nationales. C’est moins de galères en perspective quand il s’agit de manger à l’extérieur, notamment avec des ami.e.s non véganes. Ca donne l’impression que le mouvement végane monte en puissance et ne peut plus être ignoré. Très bien.
Mais les produits végétaux des grandes multinationales sont-ils vraiment compatibles avec le véganisme ? Là-dessus je suis plutôt perplexe.
Pourquoi manger au fast food ?
Les chaînes de restauration comme McDonalds, KFC ou Burger King sont des empires construits sur une production intensive, uniformisée à l’extrême et dont le but est la plus grande marge de profits possible.
Prenons McDonalds. L’entreprise ne possède que très peu de restaurants (puisque l’immense majorité sont des franchises). Sa principale richesse, son vrai patrimoine, ce sont des champs, des animaux de bétail et toute une ligne de production intensive qui repose sur l’exploitation autant des animaux que des humains. A cela est adossé un branding , c’est-à-dire des supports de communication (couleurs, logos, design, packaging, image et culture) qui agit pour la promotion d’une marque. Bref, MacDo n’est pas une entreprise de restauration, c’est un géant de l’agro-alimentaire qui impose ses codes et sa vision sur tout un pan de l’économie mondiale.
Pour en savoir plus à ce sujet, je vous recommande vivement la lecture de Les empereurs du fast-food d’Eric Schlosser, une enquête de plusieurs années dans les coulisses des chaînes de fastfood qui ne vous laissera pas indifférent.e.
Est-ce moralement acceptable d’y manger en tant que végane ?
Traduction du discours
Reprenons le cas A&W, qui est une chaîne présente uniquement au Canada et qui fait de gros efforts de greenwashing qualité. Leur site internet consacre une section entière aux garanties qualité des produits ; il y a même une section “Bien-être animal”. Un tel (et aussi long) exercice de style en mauvaise foi et langue de bois, c’est rare.
Voici un petit exercice de traduction du message officiel.
Concernant les poulets :
On peut lire “Litière – Nous veillons à ce que nos poulets aient une litière épaisse, qu’elle soit changée après chaque troupeau […]. ”
Il faut comprendre “Les poulets pataugent dans leurs excréments toute leur vie, c’est-à-dire 2 à 3 mois.”
On peut lire “Races de poulets – […] Nous nous engageons également à utiliser de nouvelles races dont l’élevage aura des effets démontrés sur leur bien-être lorsqu’elles seront disponibles.”
Il faut comprendre “On s’engage à rien mais on laisse entendre que si.”
Concernant le boeuf :
On peut lire et voir :
Il faut comprendre : “On veut vous faire croire que les vaches d’A&W se baladent tranquilles en groupe de 15 dans un pré à perte de vue avec un cowboy pour leur tenir compagnie. Si on vous montrait les images de nos élevages de vaches, la moitié d’entre vous tournerait végé et l’autre nous boycotterait.”
On peut lire “Nos normes – A&W a mis au point des normes et des exigences relatives au bien-être animal […] dont celles du Global Animal Partnership et les règles de certification Certified Humane.”
Il faut comprendre : “On établit nos propres normes comme ça nous arrange. Et on leur donne de jolis noms inspirants pour faire taire tout sentiment de culpabilité résiduel du consommateur.
A qui s’adresse A&W avec son burger végétal ?
S’il y a bien une chose sur laquelle A&W ne nous trompe pas, c’est sur les ingrédients de son burger Beyond Meat. Nulle part vous ne verrez qu’il est végane, ni même… végétalien.
Donc le steak est végétal, servi avec de la mayo contenant des œufs (avec possibilité de changer pour une autre sauce), et cuit sur la même plaque que les steaks de bœuf et le bacon. On a peut-être là le secret de son goût si proche de la viande ! 🙁
Visiblement il n’y a pas d’effort pour tenter de séduire les véganes. D’ailleurs, A&W le dit elle-même :
Qui est la cible des alternatives végétales à la viande ?
L’autre jour, mes collègues (ni véganes ni végés) me parlent de l’Impossible Burger (sur ce sujet aussi il y a une belle polémique parfaite pour un sujet de bac de philo, mais ce n’est pas la question ici). Je leur réponds que moi, manger un burger qui goûte comme de la viande avec du sang et tout, ça risque plus de m’écœurer qu’autre chose.
Réaction en chœur de mes collègues : “Normal, il cible pas les véganes ce burger !”.
Ma tête devant leur réponse. #epiphanie
Ils et elles m’ont donné le déclic.
Les grandes chaînes de restauration (que ce soit dans le fast food mais aussi les supermarchés et grandes enseignes de la distribution font de plus en plus la part belle aux produits “végétaux”. On remarque un peu partout que le rayon végé a augmenté et s’est diversifié. Des marques de l’industrie de la viande comme Herta, Fleury Michon et Le Gaulois, ainsi que des grands noms de la distribution comme Carrefour et Picard ont désormais une gamme de produits végétariens et parfois végétaliens.
Une étude de Xerfi (voir source en fin d’article) estime qu’en France sur le segment du traiteur végétal les ventes ont augmenté de 82 % en 2016 soit plus de 30 millions d’euros en grande distribution.
En comparaison, la population végétarienne et végane en France est de l’ordre de 3%. On ne peut pas dire que ça représente une réelle part de marché.
Alors qui achète ces substituts à la viande ?
Des personnes qui veulent réduire leur consommation de viande pour diverses raisons (dans la trilogie santé – écologie – protection animale). Les industriels l’ont bien compris et leur communication est adaptée : on parle de végétal sur des produits contenant du fromage (appellation trompeuse), on rajoute des œufs sur une “recette améliorée” de steaks végétaux (sans mention particulière de ce changement), et surtout on vante le côté sain et naturel de ces produits.
Et il y en a même qui osent sans remords :
Ces nouveaux produits ne s’adressent donc pas aux végétalien.nes et véganes. Ils veulent plutôt séduire une proportion toujours grandissante de la population qualifiée de flexitarienne et qui cherche des alternatives à la sacro-sainte viande : en France, on parle de 30% de la population. 🤑
Même si on peut se réjouir de cette offre florissante d’alternatives aux protéines animales, il ne faut pas y voir une main tendue vers les véganes ni la preuve de la démocratisation du véganisme. Il s’agit plutôt de la réponse à une tendance du marché : les actions de sensibilisation des associations de défense des animaux – L214 en tête – touchent un large public qui prend conscience des impacts de la viande sur l’écologie, la santé et les animaux eux-mêmes, mais semble rester au stade de la réduction de la consommation de produits carnés plutôt que de les supprimer totalement.
Est-ce que c’est végane ?
Ahhh la fameuse question pour passer de longues soirées de débat (souvent arrosées ;)) !
Loin de moi l’idée de faire la police végane et de vous dire quoi faire. Il n’y a pas de végane parfait.e, et on est déjà si peu nombreux.ses que franchement c’est contre-productif de se lancer dans des guéguerres intestines. Les véganes font ce qu’iels peuvent dans un monde carniste et spéciste ; c’est déjà beaucoup, utile et beau. 💗 sur vous toutes et tous.
Je veux juste sensibiliser les personnes (véganes, végés, omnis et toute autre catégorie entre les 3) à une problématique qui je pense va grossir dans les années à venir vu la tendance actuelle : la récupération du végétal par l’industrie agro-alimentaire.
Que ce soit pour se donner une image plus verte ou plus santé, conserver des parts de marché, voire même empêcher le développement de marques 100% végétales (comme Sojasun, Céréal, Vegusto…), il y a un réel danger à l’utilisation d’un message pseudo-alternatif par le lobby de la viande et des produits laitiers. En 2017, ce même lobby a fait passer une loi par la Cour de Justice Européenne interdisant les mentions “lait végétal” et “fromage végétal”. En France il y a quelques mois, les députés ont voté un amendement contre le terme “steak”, “saucisse” et “filet” pour les produits végétaliens. Officiellement il s’agit d’empêcher «certaines pratiques commerciales trompeuses». En fait, la désinformation bat son plein et surfe sur sur la vague du végétal afin de noyer les messages véganes et de semer la confusion.
Par définition, les entreprises qui commercialisent de la viande ne sont pas véganes. Qu’elles se mettent à proposer un produit (plus ou moins) végétal dans leur offre ne les rend pas véganes. Bien sûr, c’est toujours un pas en avant et on peut y voir un aspect positif, mais soyons vigilant.e.s face à cette manœuvre plus cynique et vénale que charitable et ne laissons pas l’industrie agro-alimentaire s’approprier et écharper un message et des valeurs qui sont aux antipodes de leurs pratiques.
Est-ce que vous achèteriez des steaks végétaux de Herta ? Le burger Beyond Meat d’A&W ? Le burger végane de McDo ? Oui / Non / Parfois ?
Merci d’argumenter et de respecter les opinions de chacun.e 🙂
Pour aller plus loin, quelques sources intéressantes :
“Les empereurs du fast-food : le cauchemar d’un système tentaculaire” d’Eric Schlosser
Etude Xerfi sur les produits végétariens et véganes
C’est la mode du moment et le milieu marketing s’engouffre dedans !
Je ne pense pas que le véganisme est une mode. Mais c’est sûr que certaines marques brandissent le végétalisme pour faire du greenwashing ou se donner une image
Lorsque les grandes marques se lancent dans un créneau de ce genre, c’est mauvais signe le plus souvent !
Que veux-tu dire par là ?
super article, et comme dans les coms…. très difficile de tout réussir. Il faut que petit a petit, chacun fasse les petits efforts possible dans son quotidien. Qu’on prenne de meilleures habitudes… Bien sur il y a des extremistes, qu’on aime ou pas, ils peuvent montrer un bout du chemin…
Hello,
Tout comme toi, je reste perplexe quant à l’aspect “vegan”. Mais je me dis quand-même que tant que ça permet d’épargner les animaux, j’arrête de me poser des questions. En tout cas, merci beaucoup.
Lorsqu’on pense à ceux qui n’ont pas vraiment le choix que de devenir vegan, je trouve que c’est une bonne initiative, mais pour le reste, je ne comprends pas trop… C’est comme si on enviait ceux qui mangent du MacDo.
Je trouve que c’est dommage de se lancer dans une direction (végé/végan) et trébuché sur de l’hyper indus et suremballé. Il ne faut pas être extrémiste mais c’est dommage… Le problème c’est que ca devient une niche marketing et les indus vont foncer dans ce domaine et vendre des produits médiocre 🙁
Comme vous dites ce n’est pas facile du tout de ne pas craquer (soit et ça petite famille, et ca compte tout de même). Faut essayer de modérer le plus possible et du mieux que l’on peut ne pas faire ses courses uniquement dans les super-marchés.
Il est difficile d’avoir une consommation responsable, le but est de faire du mieux que l’on peut avec les moyens que l’on a 🙂
Seul une nation universelle qui prendra en compte la souffrance des êtres d autres espèces nommé péjorativement animaux. pourra éclairer le genre humain.
Bonjour Sacha! Intéressant, ce sujet.
Personnellement, végétarienne bio, je fais moi-même des « steaks » végétaux maison.
Quand je regarde la composition de ces produits du commerce, au-delà de l’éthique, un seul mot me vient : « beurk ! », sans compter le prix souvent abusif. Et j’avoue que c’est le cas, par ailleurs pour nombre de produits véritablement véganes, mais non bio.
Donc, non, je n’en achète pas !
Mais loin de moi de jeter la pierre à ceux qui le font. Il m’arrive de craquer par facilité pour du conventionnel tout aussi dégueux qualitativement (chips etc.).
Je pense néanmoins que cette tendance végétale est tout à fait positive, et marque une sensibilisation des populations.
Bien sûr, ce que tu soulignes n’est pas faux, et il faut le faire (mais pas trop fort…, tout est si fragile.). Quelle avancée inespérée ! C’est un commencement, un cheminement qui est rendu possible. Le fait que la grande distribution s’en soit emparée cause les mêmes soucis, effets pervers que pour tous les autres produits et tendances, c’est un fait, mais permet une visibilité impossible autrement pour les non initiés. Et chaque « steak » végétal consommé épargne malgré tout une part animale, donc cela sert la cause végane indirectement, je pense.
Voilà. Bonne journée/ soirée !
Merci pour ton partage Catherine.
Oui je pense que pour les nouveaux.velles végés c’est une aide, ou quand on est dans une situation où il n’y a pas vraiment d’autre choix.
Et puis il y a ce dilemme que tu soulignes : végane mais non bio ou hyper industriel, ou suremballé… Dur dur de faire un choix parfois !